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La Ferme du Bois du Loup
L’histoire de la Ferme du Bois Loup est peu connue ; occultée, oubliée et insolite, elle ne figure dans aucun document d’archives. En marge de l’histoire officielle des écoles, cette petite histoire est une affaire “d’Intendance” ; elle mérite toutefois un peu d’attention. Oubliée car elle ne concerne pas des activités militaires au sens propre mais surtout insolite en regard de son objectif : produire viande, légumes, lait et fruits au profit du camp militaire. Ce n’est donc pas l’histoire de la ferme du château (photo ci-dessous) que nous verrons ici, mais celle de la ferme nourricière des Écoles de Coëtquidan dont la production dura 12 ans, de septembre 1945 à septembre 1957.

Replaçons-nous dans le contexte de l’époque : Juillet 1945, l’École Militaire Interarmes, venant de Cherchell (Algérie), prend position sur le camp militaire de Coëtquidan. Les différentes armées étrangères viennent de quitter le camp après presque 6 années d’occupation. Tout est à reconstruire ou à réhabiliter ; infrastructure et logement, transformation du camp de manœuvres en école d’officiers etc... . Il y a bien sûr la chaîne logistique qui reste à inventer et, pour ce qui nous intéresse ici, l’alimentation des militaires à résoudre.

Les “communs” ou Ferme du château du Bois du Loup dans les années 1920. Dans la cour de la ferme, stationnent des soldats en manœuvres. Au 1er plan à droite, la margelle en granit du bassin circulaire, déplacé depuis dans le camp bâti.
Survolez la photo avec la souris pour voir : Une photo aérienne de cette époque. On remarque la forme en I de ce gros bâtiment d’exploitation. Il en reste aujourd’hui les soubassements du mur Sud et des douches ont été construites à son emplacement.

Les principaux acteurs
Lieutenant-colonel André-rené JAMME,
chef des services administratifs des Écoles 1945-1965
Joseph GRAVOT avec sa famille et :
Survolez la photo avec la souris pour voir :
Marguerite GRAVOT et l’Adjt EME, sous-officier d’ordinaire
Lieutenant-colonel André-rené Jamme, photographié ici en 1964 dans sa fonction de chef des services administratifs des Écoles, est arrivé à Coëtquidan en juin 1945 comme capitaine. Affecté comme “Major et administrateur du camp”, il eut la charge d’organiser le fonctionnement des écoles nouvellement arrivées sur le camp. Dans cet immédiat après-guerre et partant de rien, tout était à mettre en place et à structurer : alimentation, logement, habillement, approvisionnement, recrutement des personnels de soutien etc... C’est là qu’il eut l’idée de créer une ferme pouvant produire : légumes, lait, viande (porc, veau) et ainsi, fournir à tous les militaires ce dont ils avaient besoin pour se nourrir. Le lieu est tout trouvé ; suffisamment loin du camp bâti (7 km), en bordure sud du camp, il ne doit gêner en rien les manœuvres et exercices de tir : ce sera le Bois du loup, en lieu et place de la ferme du château éponyme. Cette (presque) autosuffisance alimentaire des écoles dura 12 ans ; jusqu’à ce que les règlements de l'intendance en matière sanitaire et de marché, changent.
Le lieutenant-colonel Jamme tiendra le poste de chef des S.A., à partir de son bureau situé dans le pavillon “Mayence” (ancienne école) pendant 20 ans et jusqu’à son départ en retraite en 1965. Il n’a donc jamais occupé le nouveau bureau donnant sur la cour Rivoli qui venait d’être livré dans la nouvelle école et dont il avait été, de part sa fonction, partie prenante dans sa construction. Il est décédé en août 1970. (1)

Joseph Gravot était cantonnier à Guer. Connaissant bien le pays, il est recruté dès septembre 1945 comme “Vacher”. Il emménagea aussitôt dans cette petite maison du Bois du loup avec son épouse et leur premier enfant. Sa mission était simple en apparence : mettre en œuvre et exploiter une ferme laitière, une porcherie, un très gros jardin maraîcher et des terres agricoles. En réalité, un énorme et difficile challenge à relever. Heureusement il n’était pas seul pour cette tâche ; d’autres ouvriers d’état seront affectés aux travaux de la ferme, des potagers et des champs.
A la cessation d’activité de la ferme en 1957, il est affecté à l’entretien de l’hôpital et obtint de rester dans la maison du Bois du loup jusqu’en 1960, puis il déménagea dans un petit village au sud : la vallée Sainte Anne. Joseph Gravot est décédé en 1963 et sa femme Marguerite en 1966 à l’âge de 44 ans.


Les bâtiments
Les bâtiments d’habitation. Les bâtiments d’élevage. Survolez la photo avec la souris pour
voir :
Les bâtiments ont retrouvé leur destination première.
Comme nous l’avons vu sur la page précédente, ces bâtiments ont été construits par les espagnols en 1939. A peine achevés, ce sont les polonais, dont l’armée s’est reformée à Coëtquidan, qui les ont occupés jusqu’en juin 1940. On ne sait ce qu’en firent les allemands pendant l’occupation. De juillet à décembre 1944, les différents groupes de résistants ont certainement dû les visiter. Quand aux américains, de janvier à juin 1945, seul le château les intéressait... Il y en a encore des traces bien visibles. Nous allons voir maintenant l’affectation de ces bâtiments (photo aérienne ci-dessous).

1 - Le premier bâtiment du haut était le logement du fermier ; composé d’une entrée centrale, côté château d’eau et deux petites pièces. A gauche, la chambre des parents et des tous petits enfants et à droite la cuisine, plus un petit lit de coin et quelques meubles. Cinq enfants sont nés dans ce bâtiment ; 4 garçons et une fille.
A noter : dans ce bâtiment, comme dans tous les autres de la ferme, il n’y avait pas l’électricité. Cependant elle n’était pas loin car elle alimentait la station de pompage (située à 300m au sud du château), celle-ci remontant l’eau au château d’eau. L’électricité venait du village le plus proche au sud.

2 et 3 - La partie Nord (2) de ce bâtiment divisé en deux, avec entrée centrale, constituait la chambre des enfants. 5 des 6 enfants du fermier y dormaient. La partie Sud (3) avec entrée latérale au sud, était réservée au bureau du sous-officier d’ordinaire et des employés de la ferme. Comptabilité, gestion, expédition des denrées etc... étaient faites sur place.

4 - Le premier des bâtiments à structure plus légère, de type hangar métallique, abritait les vaches laitières ; 33 vaches de race Bretonne Pie noire y produisaient un lait de qualité (traite à la main). A noter : le site ne disposait pas de fosse à fumier ; aussi les litières étaient changées chaque lundi et le fumier transporté et déposé directement dans un angle de la parcelle à fumer.

5 et 6 - Dans cette partie Sud (5) on trouvait l’écurie ; elle abritait les chevaux de trait nécessaires à l’exploitation des terres. La partie Nord (6) abritait les veaux.

7 et 10 - Dans ces deux bâtiments en pierre ont été installées les porcheries ; 13 truies reproductrices y vivaient avec leur petits. La population au plus fort de l’activité approchait les 70 cochons. Le sol était de terre battue mais l’allée centrale, bétonnée. Toute cette production bouchère partait pour le camp militaire ; les animaux n’étaient pas abattus sur place mais transportés dans un abattoir qui avait été aménagé dans le camp bâti et situé dans le vieux camp, côté Bel-air.

8 et 9 - Dans le premier était stocké le fourrage et dans le second, le grain et les pommes de terre pour l’alimentation du bétail. A noter qu’au centre du bâtiment N° 9, il y avait une chaudière pour la cuisson des pommes de terre à cochons.

11 - Le garage, son mécanicien et la forge. Pendant les périodes de gros travaux, quelques employés de la ferme pouvaient aussi y dormir dans une pièce aménagée.

12 - Les 2 hangars à matériels agricoles n’étaient pas couverts. Ils sont entièrement démolis aujourd’hui. Un autre bâtiment a aussi disparu ; entièrement en bois, situé près de la route Nord en contre-bas du château d’eau et à demi enterré, il servait de cave et contenait pas moins de 7 barriques (220l) de cidre et un pressoir. Les pommes venaient de l’extérieur. A noter également la présence d’un poulailler ; situé entre le château d’eau et la maison du fermier, il produisait quelques volailles et œufs mais pas en quantité suffisante pour le camp.

Tous ces bâtiments ont été réhabilités et ont retrouvé leur destination première : le logement des troupes. Les N° 1-2-3 : logement cadres ; N° 7 à 10 : logements troupes et N° 11 : cuisine, popote, réfectoire.

Vue d’ensemble des bâtiments de la ferme du bois du loup ; habitation et exploitation. En lieu et place de l’aire de rassemblement gravillonnée ( N° 4, 5 et 6 ) se tenaient deux bâtiments à structure plus légère qui abritaient les vaches laitières, les veaux et les chevaux. A l’emplacement N° 12 on trouvait des hangars à matériels.

Les terres agricoles
Parcelles “Vivrières” devant le château du Bois du Loup. Déplacer la souris sur la photo pour l’agrandir ! Sur cette photo aérienne de 1952, la ferme était en pleine exploitation. En superposition au sud, la voie rapide mise en service en 1994.

Le domaine du Bois du loup a été exproprié en 1910 ; la ferme du château qui exploitait jusque là une importante surface de terres arables a de fait cessé toute activité et ces parcelles furent laissées à l’abandon après une dernière récolte. Les landes (genêts, ajoncs, bruyère, fougères et autres plantes locales), ont très vite recouvert toutes ces étendues.
Les militaires, eux, les utilisèrent pour partie comme zones de bivouac ou bien encore les parcouraient à pied ou en véhicules, blindés ou non, lors de leurs exercices (on voit page précédente des chars Tigre I allemands sur une parcelle devant le château, qui deviendra : Jardins maraîchers). Cette ferme, la plus grosse de la région à l’époque, exploitera en tout 60 hectares de terres agricoles ; sans compter les landes au Nord de la ferme que parcouraient les vaches.

Trente cinq ans plus tard, ce sont donc ces mêmes terres qui vont être réexploitées et mise en culture. Il faudra d’abord les défricher. Ce sont des prisonniers allemands qui vont en être chargés ; ils resteront deux ans pour la majorité d’entre eux et logeaient sur place dans des baraquements en bois. Parmi eux il y en avait deux qui, passionnés de peinture, passaient leur temps libre à peindre les belles demeures de la région et parmi elles figurent bien sûr le château du Bois du loup (vue rêvée en réalité car il venait d’être bombardé) et le château de Trécesson. Cliquer ici ! pour voir deux de ces œuvres, propriété du fils aîné du fermier auquel elles ont été données par leurs auteurs.

Le potager d’abord ; clos de murs en pierre sur trois côtés et d’une superficie d’environ un hectare, c’était le jardin du château. Réservé aux petits légumes, il était doté d’une serre et de nombreux châssis, bâtis contre le mur Nord et d’un petit château d’eau, qui existe toujours, au centre de la parcelle. Ce jardin a continué d’être exploité par la compagnie de camp à des fins de pépinière. Plus tard c’est une sapinière qui a été plantée et les sapins étaient coupés pour Noël et distribués dans bon nombre d’unités y compris jusqu’à Rennes.

Le maraîchage (pommes de terre, choux et autres gros légumes), couvrait une surface d’environ 20 hectares ; c’est vraiment très grand et cela demandait une main d’œuvre importante. Aussi, pour la récolte des pommes de terres notamment, il était fait appel aux agriculteurs riverains de la ferme qui, en échange, recevaient eux aussi l’aide des employés de la ferme pour leurs gros travaux, battages principalement. Mouvement d’entraide bien connu en milieu rural, qui n’est plus pratiqué aujourd’hui, mécanisation oblige. Ce ne sont donc pas les appelés du contingent, qui contrairement à ce que l’on pourrait penser, étaient mis à contribution.
Toute cette abondante production, potagère et maraîchère était destinée à la consommation des militaires. Transportée puis cuisinée directement dans les différents points de restauration des écoles : mess, ordinaire et cantines, elle a nourri pendant douze ans, cadres, élèves et soldats. Mais tout n’était pas consommé lors des repas, loin s’en faut ; il y avait beaucoup de restes et, ce qu’il est convenu d’appeler les “Eaux grasses”, retournaient à la ferme du Bois du loup pour nourrir les cochons.
La surproduction légumière, celle qui ne pouvait être consommée, a par un moment était proposée à la vente lors du marché hebdomadaire de Guer. Mais devant la levée de bouclier des commerçants locaux, celle-ci cessa rapidement.

Les cultures céréalières et fourragères, destinées à l’alimentation du bétail, représentaient quarante hectares ; ce qui là aussi était une surface importante pour la région. Les battages, avec participation de riverains, étaient effectués par l’entreprise Poirier de la Ruézie et duraient trois jours. Grain et paille étaient stockés dans les bâtiments de la ferme.

A l’arrêt de la ferme, certaines terres ont été louées pour des pacages, essentiellement de moutons. Aujourd’hui, toutes ces terres sont de nouveau en friches ; les landes les ont recouvertes pour une grande partie et pour l’autre partie, transformées en parking ou en sapinière. La pâture devant le château est redevenue zone de bivouac et l’ensemble du site du Bois du loup, depuis 2015, a été classé zone remarquable pour son biotope.


D’autres acteurs
Les appelés du contingent ; sur un tracteur et à vélo Le garde : Maurice Bénard, son fils Michel et son épouse
Survolez chaque photo avec la souris pour en voir une seconde !
Nous l’avons vu, aucun appelé du contingent n’était employé directement et en permanence sur l’exploitation. Cependant quelques-uns, affectés à la compagnie de camp, pouvaient venir de temps à autres conduire les engins agricoles. Leurs déplacements se faisaient généralement à vélo, ce qui était long et guère pratique vu l’état des routes à l’époque et particulièrement celles proches du Bois du loup qui étaient en grande partie défoncées par le passage des chars se rendant au pas de tir de Roherman. Le sous-officier d’ordinaire venait lui, principalement à moto et l’intendant, lors de ses visites, en véhicule.

Étant donné la grandeur de la ferme et le type de production, une importante main d’oeuvre était nécessaire ; 7 employés, tous ouvriers d’état, travaillaient sur l’exploitation. Mais d’autres pouvaient également les renforcer en cas de besoin. Avec la traite des vaches à la main, l’élevage des cochons, la culture des terres, le maraîchage et le jardinage ; il y avait de quoi occuper tout ce personnel. D’autant que la mécanisation de la ferme n’est pas venue tout de suite et que tout se faisait au départ avec des chevaux.

Un autre acteur important du site était le gardien du champ de tir ; il s’appelait Maurice Bénard et habitait une maison de bois avec cheminée centrale en pierre. Cette maison, aujourd’hui rasée (photo de droite) était située à l’entrée du camp, perpendiculairement à la route Augan-Beignon (aujourd’hui, 1er parking du bivouac Lafayette entre la route et le puits).
Un des rôles du garde, outre celui de s’occuper du champ de tir, était de distribuer et de contrôler les lots de landes à couper par les riverains demandeurs. La coupe de ces landes, qui servaient de litière, voire de fourrage, participait à l’entretien du camp. Quand c’était l’époque, une longue file de charrettes passait devant la ferme et s’en allaient sur le camp remplir leur chargement. Au retour, les charretiers s’arrêtaient volontiers à la ferme pour se désaltérer. Aujourd’hui, cette pratique a disparu ; l’entretien du camp est effectué annuellement par gyrobroyage. Seuls subsistent les affouages (répartition des lots de coupe de bois), qui sont gérés par l’O.N.F.


Merci à Jean GRAVOT, né à Carentoir, de m’avoir fait partager ses souvenirs d’enfance et d’adolescence au Bois du Loup. Fils aîné de la famille, il est arrivé dans la ferme avec ses parents à l’âge de un an. A 15 ans il quittera cette ferme pour s’installer avec ses parents près d’Augan.
Devenu chef de famille à la mort de ses parents, il sera exempté de service militaire mais sera recruté en 1964 comme ouvrier d’état à Coëtquidan où il exercera le métier de peintre en bâtiment jusqu’à sa retraite.
Merci également à tous les anciens employés du camp de Coët qui m’ont aidé dans mes recherches.

Voilà l’histoire de cette ferme d’état, créée dans cet immédiat après-guerre, au profit des écoles militaires et où travaillèrent de nombreuses personnes et ouvriers d’état, à une époque où tout était à reconstruire.

(1) André-René JAMME avait une fille prénommée Chantalle, qu’il emmenait fréquemment au Bois du Loup lors de ses visites à la ferme. Toujours habillée “à la garçonne”, il lui arrivait de parcourir les ruines du château avec Jean Gravot, le fils du fermier. Je lui ai appris qu’en fait c’était une fille, ce dont il ne s’était pas aperçu. Chantalle JAMME, s’est mariée en juillet 1965 avec Alain REIMERINGER, de la promotion “Centenaire de Camerone”. Elle a effectué ensuite une partie de sa carrière dans la préfectorale.
Le 27 août 2012, Chantalle Reimeringer écrit au ministre de la défense de l’époque : Jean-Yves Le Drian, pour lui demander qu’un hommage soit rendu à son père pour l’ensemble de son action comme intendant de l’école (et pas seulement pour cette ferme). Cela pourrait prendre la forme d’une plaque apposée dans les écoles de Coëtquidan. Lettre parvenue au général commandant les écoles, puis au conservateur du musée qui me l’a communiquée.
C’est à partir de cette lettre que j’ai commencé mes recherches sur cette ferme, dont tout le monde ignorait l’existence. Si aujourd’hui encore, aucune plaque ne vient commémorer son passage à Coët, puisse cette page l’invoquer.

Rappel : L’accès au camp militaire de Coëtquidan, est interdit !
Photographies, textes et réalisation Web :   Jean-Charles CAILLARD   - Mise à jour : 21 juin 2016 -

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