La création du camp de Coëtquidan est la conséquence de la défaite de la guerre de 1870, due en grande partie au manque d’instruction des soldats et surtout à leur manque d’entraînement, principalement au tir d'artillerie.
Au lendemain de la guerre, le pouvoir politique prend conscience de l’importance d’une bonne préparation et ce, à l’extérieur des casernes. A l’époque, seul le camp de Châlons existait.
Pour “l’exercice”, des terres étaient alors louées à la bonne saison (après les moissons). Cette situation n’était pas durable et la création d’un camp permanent était devenu une nécessité, notamment pour toutes les unités de l’ouest qui n’en disposaient pas.
Ce fut le cas pour les “Landes de Coëtquidan” qui furent louées de 1873 à 1878 pour l’entraînement au tir d’artillerie. La première campagne de tir, elle, ne débuta réellement qu’en 1874.
Les landes (communales pour une grande partie) avaient été repérées par le Comte de la Monneraye, sénateur du Morbihan (ancien officier d’artillerie) et M. de la Foye, alors capitaine d’artillerie. Elles furent choisies pour leur absence de population, leur étendue et leur médiocre qualité. (Tracé en jaune sur la carte).
1re période : 1873-1878 – Location des landes de Coëtquidan
Début juin 1873, la sous-préfecture de Ploërmel envoie aux maires des communes concernées, le projet de location. Le 22 juin, délibération du conseil municipal d’Augan qui, peu concerné par cette 1re phase donne un avis favorable. 24 juin, délibération du conseil municipal de Porcaro, qui s’en remet aux propriétaires ; ces derniers demandent que les terres soient rendues en bon état.
24 juillet, délibération du conseil municipal de Guer ; il se déclare à l’unanimité favorable au projet et souhaite que le camp devienne permanent. Ce même 24 juillet, délibération du conseil de Campénéac ; avis favorable et signature d’un bail de 9 ans renouvelable. Le 23 juin, délibération du conseil municipal de Beignon qui doit justifier son refus de location des terres. Il s’en remet aux propriétaires qui doivent trouver des accords avec l’autorité militaire. Des baux seront alors signés et reconduits jusqu’à la 1re expropriation en 1879.
La location était payée (pour partie) en “fumier de cheval” au prorata des surfaces louées, mais aussi en monnaie.
2e période : 1879-1905 – Le camp devient permanent. Premières expropriations. L’acquisition de ces parcelles s’étale sur une vingtaine d’années. Il s’agit de terres médiocres (à l’exception de celles de Beignon) et ne touche aucune habitation. Le camp couvre alors une surface de 1 063 ha, 81 a, 86 ca, pour une longueur de 8 200m et environ 1 200m de largeur. Il sert de champ de tir d’artillerie pour toutes les unités de l’ouest.
3e période : 1906-1914 – Le champ de tir d’artillerie devient camp d’instruction. Agrandissement du camp dont la superficie sera multipliée par cinq, pour atteindre 5 063 hectares ; (La majorité des transactions ont été conclues pour la fin 1912).
Les projets d’extension sont le fruit des travaux de multiples commissions d’étude menées par le ministère de la guerre. Elles doivent concilier les besoins des armées et les légitimes doléances des propriétaires ; prendre en compte la densité de population, la qualité des terres, les ressources en eau, la voirie etc...
Ce n’est pas une mince affaire et les négociations dureront 8 ans. Elles ont été menées par trois personnes : les capitaines du génie LEFEVRE, puis par son successeur DORBEAU et par M. HEITZ, inspecteur des domaines à Vannes.
- 25 juillet 1906 - 1er projet ; il prévoit une extension de 3 600 ha pour une somme de 4 155 000 francs, finalement ramenée à 3 314 Ha.
Les premières expropriations concerneront les communes de Guer et Saint Malo de Beignon ; c’est à dire les communes le plus à l’Est. C’est sur leur emprise que seront construits les bâtiments. De plus, des sources se trouvent à proximité et c’est le plus important car les chevaux en consomment une grande quantité.
- 1908 – Projet définitif ; il porte sur 870 ha supplémentaires.
Superficie |
Nature |
Prix moyen |
Total |
90 ha |
Bois et landes |
850 F |
76 500 F |
530 ha |
Terres arables |
3 200 F |
1 696 000 F |
250 ha |
Prairies |
4 700 F |
1 175 000 F |
Total : 870 ha |
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2 947 500 F |
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Propriétés : 180 |
4 000 F |
720 000 F |
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Moulin de Launay |
1 000 F |
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Chapelle St Méen |
3 000 F |
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Chapelle St Mathurin |
8 000 F |
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La Tannerie |
8 000 F |
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Indemnités de dépossession |
312 000 F |
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Total acquisition : |
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3 999 500 F |
La différence entre le coût d’acquisition de ces 870 ha et des bâtiments et celui des 3 600 ha précédents s’explique par la qualité des terres, la densité de population et la spéculation. Les deux années entre les deux projets ont fait monter les prix.
- Tous les montants ci-dessus sont des estimations fournies par les différentes commissions d’évaluation au ministère de la guerre ; ils ne correspondent pas rigoureusement aux indemnités reçues par les différents propriétaires ou fermiers. Ces transactions sont privées et évidemment, n’ont pas toutes été divulguées.
1re expropriations |
Campénéac |
Augan |
Porcaro |
Guer |
St Malo de B |
Beignon |
1879 – 1063 ha |
400 ha (sud) |
17 ha |
63 ha |
23 ha |
60 ha |
500 ha |
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248 F / ha |
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Agrandissement après 1906 (3) |
Campénéac |
Augan (1) |
Porcaro |
Guer |
St Malo de B |
Beignon (2) |
Population déplacée |
Nord : 96 hab |
156 hab |
16 hab |
20 hab |
néant |
Nord : 224 hab |
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Sud : 208 hab |
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Sud : 295 hab |
Superficie expropriée |
Nord : 1100 ha |
551 ha |
428 ha |
345ha |
15 ha |
Nord : 620 ha |
Prix moyen ha |
1 000 F |
3078 F |
1 705 F |
1 877 F |
1 316 F |
4 500 F |
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Sud : 445 ha |
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Sud : 477 ha |
Prix moyen ha (4) |
5 254 F |
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7 000 F |
Total : 5063 ha |
1 945 ha |
568 ha |
491 ha |
358 ha |
75 ha |
1 597 ha |
Nota : Les superficies et les prix à l’hectare, sont ceux relevés dans différents rapports, établis par plusieurs rédacteurs et sur une période de 30 ans ; ils ne peuvent donc être considérés comme l’exacte réalité. Mais ils s’en approchent d’assez près.
(1) Le domaine du bois du loup compte 265 ha (*) pour un prix moyen de 3 448 F l’hectare ; soit plus que pour les autres terres de la commune. Le château (construit entre 1871 et 1874), les dépendances et les terres ont été estimés à 900 000F.
(le village du Bois du Loup -exproprié en 1908- comptait 37 maisons et 114 habitants)
(*) Le domaine avait déjà perdu 178 ha en 1880 pour la création du 1er champ de tir. Le montant de la transaction s’élevait à l’époque à 200 000 Frcs soit 1 123 Frcs/ha. On voit qu’en 30 ans le prix des terres a été multiplié par trois.
(2) A titre d’exemple, sur la commune de Beignon ce sont en tout : 14 villages ou fermes, 467 bâtiments, 180 foyers et 520 habitants qui ont été concernés par les expropriations.
(3) En terme d’infrastructure bâtie, les expropriations ont concerné au total : 8 moulins à vent, 6 chapelles et 31 villages ou fermes.
Le coût global d’acquisition des 5 063 hectares, des bâtiments et des indemnités versées aux propriétaires et aux fermiers, s’élève à 12 842 000 F. La création du camp a entraîné le déplacement de 1 015 personnes.
(4) Exemples d’indemnités accordées aux expropriés par le jury qui s'est réuni les 29, 30, 31 mai et 1er juin 1911.
Mme veuve Joseph B. pour 23 ares 33 centiares : 1.658 Frcs - Mr Jean-Marie D. pour 2 ha 36 ares 91 centiares : 13.561 Frcs - Mme veuve Julien L. au Guillérien pour 2 ha 8 ares 87 centiares : 13.005 Frcs - M. Jules M. à La Vallée pour 48 ha 28 ares 51 centiares : 182.029 Frcs - M. Emile L. pour 8 ha 19 ares 39 centiares : 37.973 Frcs. (Source Ouest-Eclair 12/06/1911)
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La grande disparité des prix à l’hectare s’explique par la nature des terres bien sûr, par la densité de population des villages et fermes concernés mais aussi par la date à laquelle les transactions ont été effectuées.
En effet, la spéculation et le recours à l’avocat de la société Lyonnaise d’expropriation (qui demande des indemnités importantes) provoque une forte augmentation du prix des terres à l’extérieur du camp ; ce qui pénalise beaucoup les fermiers qui veulent se réinstaller. Pour que l’opération d’agrandissement du camp puisse être menée à son terme, l’autorité militaire et le ministère de la guerre sont bien obligés de prendre ces paramètres en considération. Et ils l’ont été.
Pour preuve, sur les quelques 3 000 titres de propriété étudiés, seuls 270 ont été plaidés devant des jury spéciaux. Dans tous les autres cas, un arrangement à l’amiable a été trouvé.
Les recours sont motivés essentiellement par un désaccord sur le montant des indemnités. Les demandes des plaignants sont en moyenne 2,8 fois supérieures à l’offre de l’état. Après décision, les plaignants recevront en moyenne une majoration d’indemnité de 1,5 fois. En cas de transaction à l’amiable, les indemnités perçues au titre des propriétés bâties et non bâties sont majorées d’une prime de 30 % ; mais ne sont pas versées en cas de recours.
- 1912-2012, 100 ans déjà. En conclusion, l’implantation du camp d’artillerie en premier lieu, puis sa transformation en camp d’entraînement par une augmentation de sa superficie à partir de 1906, s’est faite dans de bonnes conditions. Il faut se rappeler que cette opération a débuté en 1873 et s’est terminée en janvier 1914. Elle a donc duré en tout 41 ans. Cette longueur s’explique plus par les atermoiements du ministère de la guerre, notamment par l’attribution des budgets correspondants que par une opposition farouche des habitants.
Bien sûr, le déracinement est toujours un déchirement et nulle indemnité, aussi correcte soit-elle (ce qui a été le cas) ne pourra l’effacer. Toutefois, de nombreux expropriés (propriétaires ou fermiers), ont pu acquérir de nouvelles exploitations à proximité du camp et leurs descendants poursuivent aujourd’hui leur activité. D’autre part, de nombreuses personnes déplacées ont pu être embauchées pour travailler sur le camp ; ce qui a facilité la procédure.
Il faut souligner également le travail considérable effectué par les deux officiers du génie, tant par leur approche que par la résolution des problèmes liés à ces expropriations ; il a permis de satisfaire le plus grand nombre des personnes concernées. Ils ont même été pour certaines d’entre-elles, jusqu’à prospecter eux-mêmes des terres à racheter.
Le seule opposition notable est venue de la commune de Beignon ; en grande partie à cause des sources qui ont été captées, pour la qualité des terres notamment au sud de l’ancienne RN24, mais aussi parce qu’elle était la plus peuplée.
La contestation des habitants de cette commune a toujours été vive et perdure aujourd’hui ; elle a notamment été réactivée en 1984 non pas pour une nouvelle expropriation mais par un projet d’extension de la capacité du dépôt de munitions de Montervilly construit en 1962. Un comité de défense a été constitué le 25 janvier 1984, car le périmètre de sécurité arrivait à 250m de l’église et impactait fortement l’urbanisme. Ce comité demandait le déplacement du dépôt vers l’ouest.
Depuis cette extension, le camp a perdu : en 1965, 11 hectares 53 a à l’est du camp pour la construction du lycée-collège Brocéliande - 34 hectares en 1994 pour la construction de la voie rapide - 1 hectare 70 a, cédés à Saint Malo de Beignon pour la construction du lotissement : le casoar, à Bel-air - un terrain conséquent à Beignon pour la construction d’installations sportives et dernièrement un petit terrain pour la construction d’un cabinet médical à Bellevue.
Tous ces terrains se trouvent en périphérie du camp, à l’exception de la RN24 qui le traverse dans sa partie Sud.
Article du journal Ouest-Eclair paru le 30 octobre 1914, illustrant une des conséquences des expropriations. Cliquer ici !
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