Article paru le 31/10/1914 dans le journal “Ouest-Eclair” après la visite des journalistes au camp de prisonniers Allemands à Coëtquidan. Ils relate dans le détail leurs conditions de vie et de travail. Cet article fait suite à celui paru la veille et qui faisait état d’exactions commises par ces prisonniers sur la commune de Beignon.

Une heure chez les “Boches”

Nous sommes allés à Coëtquidan. Arrivés à l’heure du déjeuner de MM. les Boches, nous n’avons pu, en raison d’ordres très sévères interdisant l'accès de l’enceinte réservée aux prisonniers, pénétrer dans le camp Allemand pour assister à leur repas. Cependant un officier qui les approche de près nous a fourni quelques renseignements intéressants.
 Les prisonniers allemands font eux-mêmes leur "popote". Nourris tout comme les soldats français, ils reçoivent la même quantité de pain et de légumes, ils touchent cependant un peu moins de viande.
Les Boches, habitués à manger un pain plus noir que le nôtre, sont très friands de notre "boule" ; ils l’a coupent en deux et mordent dedans à pleines dents. Ils mangent tous beaucoup et malproprement. Le manger tient une place importante dans leur existence. Alors que les prisonniers internés en Allemagne demandent à leurs parents des vêtements chauds, les prisonniers allemands dans la plupart de leurs lettres réclament des saucissons !
Est-il exact, avons-nous demandé à un officier supérieur que vos prisonniers soient arrogants et insubordonnés, que beaucoup cherchent à s’évader ?
- S’évader ? et que feraient-ils au milieu des landes. Nos paysans d’abord leur donneraient la chasse immédiatement. En Allemagne des prisonniers français ont fait la moisson, ils font actuellement les semailles ; quel paysan français accepterait  la collaboration pour ses travaux agricoles de nos prisonniers ? Aucun.
Nous les occupons à l’aménagement du camp de Coëtquidan.
Nos prisonniers sont heureux d’être ici ; ils sont contents de n’être plus au feu ; aucun ne désire y retourner. D’ailleurs, gravissez le raidillon de Bellevue, vous les verrez ; je prends mon cheval et je vais avec vous au camp. Vous pourrez constater qu’ils sont très dociles, disciplinés, polis et travailleurs.
 Nous avons ici 2.300 prisonniers ; le surplus - et particulièrement les Alsaciens et les Lorrains- a été dirigé sur Montfort. Quelques-uns de nos hôtes sont occupés chez nos maîtres, bottiers, tailleurs etc..
Ils fournissent tous une somme de travail considérable et leur ouvrage est parfait.
- Les prisonniers sont payés ?
- Les soldats touchent leur solde ordinaire (1 sou par jour), les sous-officiers reçoivent aussi leur solde habituelle. Ils nous rendent donc pour rien de grands services.
Mais voici une corvée de 50 Allemands qui va nous croiser. Bref commandement d’un sous-officier allemand. Comme mus par un ressort, tous tournent la tête vers l’officier supérieur, qu’ils fixent d’un regard de soumission et pendant dix mètres ils marchent au pas cadencé. Pas gracieux, le pas de parade exécuté dans la boue qui gicle de tous côtés, et par des prisonniers portant qui le calot gris au liseret rouge, qui un béret ou une casquette. Car on leur enlève leur casquette à leur arrivée, du moins à ceux - et ils sont bien rares - qui arrivent ici avec cet ustensile.
Nous arrivons au camp allemand. 140 tentes environ s’alignent sur douze rangées. Elles se touchent presque. Tout autour de ce camp sont plantés des pieux supportant trois fils de fer barbelés. Et cette clôture rudimentaire suffit. De distance en distance, des sentinelles veillent baïonnette au canon. Chacune d’elles a un abri à sa disposition, une guérite dont le toit et le fond sont formés de quelques planches et les côtés de genêts. Les Allemands couchent dans les tentes, sur la paille. Un appel a lieu le matin, un autre le soir. Après celui du matin, ils partent en corvées dans tout le territoire de Coëtquidan par groupes de 10, 20, 30, 40 selon les besoins. Quelques territoriaux suffisent à les surveiller.
Voyez et constatez, nous dit l’officier ; et démentez les bruits stupides qui courent au sujet de mes prisonniers.
Et en prenant congé de notre aimable cicérone, nous nous retirons en jetant un coup d’œil sur sur les divers groupes de travailleurs. Sur le chemin très boueux que les Allemands vont empierrer, nous rencontrons cinq ou six Boches qui installent une voie Decauville. Ils obéissent aux gestes d’un caporal français qui leur désigne la manœuvre à exécuter. A notre arrivée, ils se rejettent dans le fossé pour nous laisser passer dans l’étroit sentier à peu près propre bordant le chemin.
Bien mieux. Ils nous font le salut militaire. Que de politesse ! Ce n’est pas là l’attitude arrogante que les gens mal renseignés nous avaient décrite.
Voici une cordée de planches. Les hommes se reposent, assis sur leurs madriers :
Hop ! crie un sergent, et mécaniquement tous se lèvent comme un seul homme. Pas un seul retardataire. Ils prennent leur planche sur l’épaule et s’éloignent comme des automates.
Plus loin, trois ou quatre cents Allemands cassent de la pierre ; c’est un vacarme assourdissant. D’autres travaillent aux baraquements comme maçons, charpentiers, etc.. On le voit, tous sont utiles à l’aménagement du camp.
Bien que leur sort ne soit pas l’idéal, ils le supportent avec patience et n’ont nulle envie de s’évader. Et sans doute nos paysans bretons ne gagneront pas de sitôt la prime de 25 francs allouée à celui qui capture un prisonnier évadé.