Revenir à la page précédente : cliquer
VALLÉE et GROTTE de SAINT-COUTURIER

par le Marquis de BELLEVUE dans son livre : (Paimpont, le Camp de Coëtquidan)

1912 - réédité en 1994,  Éditions : LA DÉCOUVRANCE         Pages 296 à 299

ISBN  2-910452-20-4      -      Texte original

A environ 300 mètres au Nord du dolmen de Roherman s’ouvre une charmante vallée, large de 100 à 200 mètres, et longue d’un demi-kilomètre, encaissée entre deux falaises de rochers, fort élevés et tapissés de rhododendrons, de sapins, de fougères, de bruyères roses et d’ajoncs d’or. Au milieu serpente et gazouille un clair ruisseau, aux rives fleuries, qui sort de l’ancien étang de Roherman, et qui forme en ses méandres de joyeuses petites cascades, dont les eaux d’argent glissent et rebondissent sur des blocs de schiste rougeâtre.

Sur les côtés des falaises encadrant cette vallée :

S’étend l’immensité des landes,
Aux rochers nus, ornant leurs crêtes et leurs flancs,
Ressemblant de loin à des bandes
De moutons blancs...

Vers le milieu de cette vallée, du côté Est, se dresse à pic un énorme rocher, vêtu de lichens et de pourpiers, et fendu du haut en bas dans toute sa longueur par une brèche, sorte de couloir, large de cinquante centimètres, qui servit dit-on, au XVe siècle, d’ermitage à un mystérieux personnage, que l’on appela «  saint Couturier ».

Voici ce que la tradition raconte relativement à ce soit-disant saint :

Vers l’an 1484, à l’époque de la ligue des seigneurs bretons contre Landais, le favori du duc François 1er, un gentilhomme, que l’on prétend avoir appartenu à la famille Harscouet (1), vint, pour sauver sa tête, se réfugier dans le rocher de la vallée de Roherman. Là, il vécut en anachorète, ne se nourrissant que de racines et ne buvant, que de l’eau du ruisseau.

Comme on le voyait souvent, assis à l’entrée de sa grotte, recousant ou rapiéçant ses vêtements, on le surnomma « le saint couturier ». Puis, à sa mort, ou à sa disparition, le creux du rocher qui lui avait servi d’ermitage devint un lieu de pèlerinage, où l’on plaça une petite statuette en bois peint. Ce lieu fut surtout fréquenté pour solliciter la guérison des fièvres et par les jeunes filles à marier, qui enfonçaient des épingles dans les parois du rocher de la grotte, afin d’obtenir de trouver dans l’année un épouseur.

Une de mes grand’tantes m’a souvent raconté qu’au printemps de 1837 elle avait, piqué dans la grotte de Saint-Couturier trois épingles l’une était petite, l’autre longue, la troisième se tordit en pénétrant dans la fente du rocher. Or, dans cette même année, la main de celle qui craignait de voir sur ses cheveux blonds la coiffe redoutée de Sainte-Catherine, fut demandée par trois prétendants un petit, un grand et un bossu..

Vallée de Saint Couturier, année 1930

Il arriva cependant que, vers l’an 1835, le recteur d’Augan, qui était alors M. l’abbé Mouillard, s’émut de ces superstitions, et résolut de mettre fin à ce culte peu orthodoxe et qui entraînait beaucoup d’abus. A cet effet, il s’entendit avec son ami M. le curé de Beignon, l’abbé Chronier, pour faire disparaître au plus vite de la paroisse la statue du prétendu saint.

« La première fois que vous viendrez dîner à Augan, lui dit-il, vous vous en retournerez par la vallée de Saint-Couturier, et vous emporterez sur votre cheval le petit magot, auquel on va piquer des épingles ».

Ainsi fut fait. Le curé de Beignon passa un soir dans la vallée, pénétra dans la grotte, et se mit en devoir d’enlever la statue incriminée. Mais cette statuette en bois, haute à peine de soixante centimètres, devint, dès qu’il voulut la soulever, plus lourde qu’un lingot de plomb ; il sembla qu’elle tenait au rocher par une force invincible, et après plus d’une demi-heure d’efforts inutiles, il dut renoncer à l’emporter.

M. Mouillard ne se laissa pas décourager par l’insuccès de son confrère, et quelques jours après, il retourna à cheval avec le curé de Beignon à Saint-Couturier, pour tenter une nouvelle entreprise.

Cette fois, à eux deux, ils parvinrent à soulever la statue ; ils la placèrent sur un de leurs chevaux et s’empressèrent de sortir de la vallée pour gagner le bourg de Beignon. Mais alors éclata un orage épouvantable et ce fut au milieu des hurlements du vent, du fracas de la foudre, des lueurs des éclairs, et sous des torrents de pluie et de grêle qu’ils prirent la route de Beignon. Arrivés dans les landes de Coëtquidan, une meute invisible, qu’au bruit ils estimèrent composée de plus d’une centaine de chiens, se mit à les poursuivre ; mêlant ses aboiements de rage aux bruits du tonnerre et du vent. Cet épouvantable concert les accompagna jusqu’à la limite de la paroisse d’Augan. Mais aussitôt qu’ils eurent pénétré sur celle de Beignon, la tempête s’apaisa, les chiens se turent ; et les deux prêtres purent arriver dans le bourg de Beignon, où ils enterrèrent la fameuse statue dans le cimetière, à l’endroit réservé à la sépulture des enfants morts sans baptême (2).

Depuis lors, la jolie vallée de Saint-Couturier n’est plus le théâtre que de joyeux pique-niques ; et si les jeunes filles à marier enfoncent parfois encore des épingles dans le rocher de la grotte, leurs souhaits ne sont plus exaucés. Saint Couturier n’est plus là pour les entendre et coudre des pantalons d’amoureux aux jupons des pennerez !

(1) On trouve en effet dans la liste des seigneurs bretons ligués contre Landais le nom d’Yvon Harscouet, seigneur de Kerversiou, dont les biens furent confisqués par ordre du duc de Bretagne, à la date du 21 mai 1484. Rentré en grâce après la mort de Landais, il reçut du duc des lettres de rémission, en date du 12 août 1485, et qui existaient aux archives de la famille Harscouet de Saint-Georges.

(2) Ces faits, si invraisemblables qu’ils paraissent, m’ont été affirmés, ainsi qu’à mon frère, le chanoine de Bellevue, et au chanoine de la Fonchais ; par les recteurs d’Augan et de Guer, qui les avaient souvent entendu raconter par l’abbé Chronier, prêtre très sérieux et très digne de foi, lequel déclarait que, pour lui, il y avait eu là certainement du surnaturel.

(NDLR) Ce texte a été écrit un an avant l’expropriation de cette partie du domaine du Bois du Loup)

Retour Historique Coëtquidan