Le général André Rogerie est l’auteur de nombreux ouvrages dont le premier est “Vivre c’est Vaincre” ; Prix de la mémoire de la Shoah en 1994. Parmi tous ses écrits, il en est un où il relate un épisode marquant de sa vie de prisonnier et qui nous amène au protecteur de la paroisse militaire de Coëtquidan : le Bienheureux Charles de Foucauld. (1)
En voici l’extrait : En souvenir de Charles de Foucauld...
Quand j’étais enfant je voulais devenir officier pour défendre le droit, la justice et la liberté. J’avais naturellement des héros favoris et l’un d’entre eux rassemblait sur sa personne tout ce que j’admirais, Charles de Foucauld.
Saint-Cyrien, explorateur, ermite, catholique et martyr. Tout était admirable pour mon esprit d’enfant.
J’avais été très impressionné par un événement survenu au moment de sa mort, quand il fut assassiné le 1er décembre 1916, sur le plateau de Tamanrasset. En effet quelques jours après, le 21 décembre, le Capitaine de La Roche vint reconnaître le corps et après lui avoir rendu les honneurs militaires il pénétra dans l’ermitage. En remuant les objets épars qui se trouvaient là, il aperçut un ostensoir contenant une hostie consacrée qu’il recueillit avec beaucoup d’émotion. Il ramena cette hostie dans son cantonnement et ayant revêtu sa grande tenue avec ses gants blancs, il se communia lui-même face à l’immensité du désert.
Pour bien comprendre ce geste grandiose, il faut savoir qu’à cette époque-là, toucher une hostie consacrée quand on n’était pas prêtre, c’était commettre une faute. Dans ce cas particulier il y avait bien sûr une attitude très respectueuse qui loin d’être répréhensible revêtait au contraire un sens d’une grande vénération.
Mon cœur d’enfant imaginait cette scène extraordinaire, je voyais en plein désert, ce capitaine de spahis en grand uniforme, au garde-à-vous, prenant l’hostie dans ses mains revêtues de gants blancs et communiant solitaire, face à Dieu, devant l’immensité.
Le 1er avril 1945, au camp d’Harzungen, je commençais mon dix-huitième mois de camp de concentration, je vis venir à moi un bagnard comme moi. En s’approchant il me dit : « Je m’appelle Jean de Sesmaison, je suis de la promotion la Croix de Provence. c ‘est aujourd’hui le jour de Pâques, veux-tu communier ? » Comme tout acte religieux était interdit, ce geste était naturellement clandestin et l’hostie qu’il m’offrait était grosse comme une tête d’épingle. Maladroitement je la fis tomber par terre et je fus dans l’impossibilité de la retrouver.
Mon camarade me donna une seconde hostie, et je communiais, moi aussi, solitaire dans la promiscuité, dépenaillé et sale dans ma misère, face à Dieu dans le dénuement.