Article très intéressant paru le 30/10/1914 dans le journal “Ouest-Eclair” au sujet de rumeurs concernant les prisonniers allemands du camp de Coëtquidan. Ces rumeurs les accusaient d’avoir ravagé et incendié de nombreuses maisons. Il n’en était rien ; l’état de ces maisons était dû aux conséquences des expropriations.

Les Boches n’ont pas dévasté Beignon

Que n’a-t-on pas dit à Rennes ces jours-ci concernant les prisonniers allemands de Coëtquidan ? Les bruits les plus fâcheux courraient à leur sujet ; on blâmait fort les traitements de faveur auxquels ils était soumis, et pis encore leurs faits et gestes.
N’allait-on pas jusqu’à affirmer que plusieurs centaines d’entre eux s’étaient évadés, qu’ils avaient saccagé des villages et incendié plus de 60 maisons à Beignon ? (Bigre, excusez du peu !) Un grand nombre avaient été fusillés, disait-on. Une enquête à Beignon nous a permis de constater l’inanité de tous ces bruits.
Grande fut la surprise de plusieurs habitants de cette commune, lorsque nous leur apprîmes que 60 maisons et plusieurs de leurs chapelles avaient été incendiées ! Le feu, nous dit l’un d’eux, n’a heureusement pas depuis longtemps fait de ravages ici.
En arrivant au bourg, nous interrogeons une autre personne.
- Ah diable ! nous dit notre interlocuteur, je crois savoir à quelle affaire vous faites allusion ; suivez moi, je vais vous conduire sur ces lieux de désolation,
- Cette contrée, en effet, nous dit-il, chemin faisant, nous offre un triste spectacle. Je suis venu ici de Maubeuge et sans doute notre pays, à l’heure qu’il est, est-il aussi triste que celui que vous allez voir. Pauvre Maubeuge, dans quelles conditions nous l'avons quitté ! Le dernier train qui partit de notre ville, emmenant les derniers réfugiés, stoppa à peu de distance de Maubeuge, en pleine campagne. Le canon tonnait. Les Anglais ordonnèrent à tous les voyageurs de se coucher sur les banquettes. Et voilà les femmes de pleurer, les enfants apeurés de crier. Enfin le train a pu continuer sa route sur Landrecies, mais l'alerte avait été vive.
Puis l’étranger revenant au sujet qui nous intéresse, me rappelle que pour l’agrandissement du camp, le gouvernement avait exproprie 400 habitants de Beignon possédant 2000 hectares de terre. Et il me montra dans la campagne toute triste sous sa parure de frondaisons jaunies, quantité de maisons sans portes ni fenêtres, aux toits crevassés.
Les villages de Montervilly, Le Faou, Launay-Salmon, Lépinay, La Ville-Quignon, La Ville-hèle sont tous ainsi dévastés. Les anciens propriétaires de ces maisons ont tiré le meilleur parti possible des boiseries, portes et fenêtres ; le génie qui a pris possession de toute cette contrée a emporté le reste, poutres, etc...
Nous visitons plusieurs villages, dont l'aspect semble sinistre. Plus loin nous entrons dans la chapelle Saint-Mathurin, de style roman. Les portes sont brisées ; plus d’autel, plus un seul vitrail. Les dalles ont été enlevées.
Dans cette chapelle il ne reste rien, rien qu’un fil de fer recroquevillé, qui pend lamentablement au plafond, et qui soutint la lampe du sanctuaire. Il en est de même paraît-il, des chapelles de Saint Méen et de Sainte-Reine, où tous les ans jadis les foules venaient en pèlerinage.
Nous sortons. Voici sur le bord de la route une croix dont le pied était pourri et qui s’est effondrée en morceaux sur le sol.
Comme nous nous éloignons tout attristés de ce lieu de désolation, retentit au loin dans la lande du camp une fanfare guerrière, bientôt suivie du crépitement d'une vive et longue fusillade.
Ne dirait-on pas les ravages de la guerre ? nous dit mon Maubeugeois.
Ce fut bien dur, parait-il pour les vieux ; d’abandonner ces toits, qui abritèrent leurs premières années à Beignon, ces biens qu’ils reçurent de leurs parents, de leurs grands-parents. De Beignon, il ne reste plus que le bourg et quelques villages. A Campénéac, Augan, Port-Kero, près de 5.000 hectares ont été aussi frappés d’expropriation. Le château du Bois-du-Loup, valant un million, a été abattu à coups de canon. Mais chacun a fait le sacrifice avec courage, car l’intérêt de la Patrie le commandait.
Comme on le voit, les prisonniers allemands ne sont pour rien dans cette affaire.
D’ailleurs, nous dit notre interlocuteur, si vous voulez avoir des nouvelles des prisonniers, allez à Saint-Malo de Beignon, vous en verrez des quantités.